Manifeste pour l’adaptation systématique du bâti aux vagues de chaleur

Paroles d'expert·es

Professionnel·les issu·es de 7 bureaux d’études et de conseils spécialistes de la performance environnementale des bâtiments, nous sommes confronté·es au quotidien au mal traitement de la question de l’adaptation des bâtiments aux vagues de chaleur.

Observant une partie de plus en plus grande de notre patrimoine bâti devenir « impropre à son usage », aussi sûrement que le sont les passoires énergétiques, nous partageons notre analyse et nos propositions pour une prise en compte systématique et adaptée de cet enjeu.


Etamine | Bureau d'études environnementales
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Amoès - l'énergie positive
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EODD | Ingénieurs Conseils - Transition écologique
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Inddigo
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Florès AMO
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Pouget Consultants | Bureau d'études thermiques et fluides
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Oasiis : Expert en performance environnementale
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Sur la quasi-totalité du territoire français métropolitain, les modèles climatiques prospectifs prévoient des vagues de chaleur à la fois plus fréquentes et plus intenses ces prochaines années.

L’adaptation climatique des bâtiments apparaît ainsi comme un enjeu de société déterminant, sur le parc existant comme sur le neuf : il s’agit de permettre à tous, y compris aux personnes les plus fragiles, de pouvoir continuer à habiter et occuper leurs bâtiments, avec une consommations d’énergie modérée...

Pour autant, il s’agit aujourd’hui encore d’une démarche d’application volontaire, très peu règlementée :
  • ainsi, aucun texte de loi n’encadre l’adaptation climatique du bâti existant
  • pour le bâti neuf, la RE2020 et la RT2012 proposent des indicateurs et des seuils à respecter peu contraignants. La conformité règlementaire n’assure pas, loin s'en faut, la maîtrise du risque de surchauffe estivale.
Or, lorsque cette réflexion n’est pas anticipée, les conséquences sont intenables et injustes : c’est ainsi qu’on voit des ménages s’équiper davantage chaque été de climatiseurs d’appoint, énergivores et polluants, rejetant à l’extérieur un air chaud qui contribue à dégrader le micro-climat local, sans pour autant parvenir à des conditions d’occupation vivables.

On retrouve dans cette situation les mêmes enjeux de justice sociale et climatique que ceux posés par les « passoires énergétiques » :

il est temps de s’occuper de nos bâtiments « bouilloires » !

L’adaptation climatique du bâti sur le long terme est un défi. Pour autant, nous, thermicien·nes et physicien·nes du bâtiment, revendiquons qu’un déploiement généralisé d’une poignée d’actions simples et efficaces représente le premier pas, essentiel et nécessaire, pour prévenir les plus gros risques de dérive thermique de nos bâtiments neufs comme existants.

Nous identifions ainsi 5 dispositions clés à mettre en œuvre de manière systématique :
  • L’optimisation de la surface des vitrages, pour maîtriser les apports solaires, et prévenir les surchauffes. En sachant qu' 1 m² de surface vitrée sans protection solaire en été peut transmettre autant de chaleur qu’un radiateur à pleine puissance, il est déterminant de rationaliser ces surfaces.
  • Une protection solaire efficace de l’ensemble des menuiseries extérieures, y compris les fenêtres de toit. On parle ici de protections solaires extérieures, de type volets, capables de faire barrage au rayonnement solaire direct et diffus à toute heure de la journée.
  • Un niveau d’isolation thermique suffisant, pour permettre l’amortissement des pics de température extérieurs. Une résistance thermique R > 10m².K/W en toiture et R > 6 m².K/W en façade constituent des objectifs minimaux pour le bâtiment neuf et souhaitables pour le bâti existant.
  • La capacité à mettre en œuvre une ventilation nocturne efficace et à mobiliser l’inertie du bâtiment. L’objectif est d’évacuer la nuit la chaleur accumulée en journée, et de décaler de plusieurs heures l'effet des pics de température extérieurs. La mise en œuvre effective d’une ventilation naturelle passe notamment par la possibilité d’ouvrir des fenêtres sur des façades différemment exposées, tout en gérant les sujets d’anti-intrusion et de compatibilité à l’usage (moustiquaires, limiteurs d’ouverture, limitation de la pollution lumineuse, etc…)
  • L’installation de brasseurs d'air, permettant de supporter des températures d’air plus élevées.
Ces 5 actions clés, qui peuvent être qualifiées d’« actions sans regret », devraient être mises en oeuvre en toute situation, et préalablement à tout dispositif de climatisation du bâtiment. Elles constituent le fondement d’une conception adaptée aux enjeux du changement climatique. Le contrôle de la bonne mise en œuvre, ou non, de l’ensemble de ces actions pourrait d’ailleurs être utilisé en phase de diagnostic, afin d’identifier les risques de locaux « bouilloires ».

En parallèle de ce regard sur les solutions constructives, il s’agit d’optimiser les conditions d’utilisation du bâti, à zéro énergie. Cela peut passer par des mesures telles qu’une cartographie des espaces les plus frais, associée à un plan d’utilisation saisonnier avec rotation des usages. Une telle réflexion est idéalement à conduire en lien étroit avec les utilisateurs, pour s’assurer de la compatibilité des solutions imaginées avec les usages réels du bâtiment. Ainsi la migration saisonnière des salles de classes sous le préau pour les écoles ou encore la création d’ouvrants dédiés à la ventilation naturelle inter-espaces, peuvent être imaginées.

En complément, l'évolution de notre climat suppose de se projeter dans un climat où le maintien de conditions de confort estival à « zéro énergie » est impossible : ce sera le cas dès que les conditions climatiques extérieures seront durablement inconfortables. L’enjeu sera alors de proposer des « lieux refuges », équipés de dispositifs de climatisation efficients et bien gérés, pour éviter le gouffre énergétique d’équipements « forains ». Cette stratégie peut se décliner à l’échelle d’un bâtiment (c’est la stratégie actuellement adoptée dans les EHPAD, avec la mise à disposition d’une salle climatisée par établissement), mais peut aussi se penser plus largement à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. On peut imaginer que demain les établissements publics assurent une mission d’accueil dans des locaux frais pour les publics fragiles par exemple.

On mesure par cette séquence combien une collaboration inter-acteurs et circonstanciée est nécessaire au déploiement d’une stratégie d’adaptation climatique sobre et efficiente, et combien un cadre commun de référence pourrait faciliter ces échanges.

L’enjeu est in fine de définir un programme d'interventions, éventuellement phasées, qui permettra aux bâtiments de rendre sur le long terme les premiers services que l’on attend d’eux : offrir abri, protection et confort aux activités humaines.

Conduire une démarche d’adaptation climatique du bâti suppose de se projeter, dès la conception, dans des scénarios futurs de fonctionnement des locaux.

Pour cet exercice de prospective, et une fois que les « actions sans regrets » mentionnées plus haut ont été mises en œuvre, il peut dans certains cas être pertinent d’aller plus loin en utilisant un outil de calcul puissant, la simulation thermique dynamique (STD) du bâtiment. Il s’agit d’évaluer, heure par heure, souvent sur une année complète, les conditions climatiques obtenues dans un bâtiment, en fonction des hypothèses retenues.

La STD peut être un outil d’aide à la conception formidable, à condition d’être utilisée à bon escient. Ainsi :
  • Il ne doit pas s’agir d’un outil de « négociation » des « actions sans regrets » listées plus haut. Une STD doit permettre de préciser les clés d’amélioration thermique d’un projet, tant sur le plan architectural que technique, et de dimensionner les installations de refroidissement le cas échéant. Elle trouve particulièrement son sens sur des projets atypiques ou à fortes consommations énergétiques potentielles.
  • Une simulation thermique dynamique doit être réalisée dans des conditions dimensionnantes, avec des hypothèses :
    • climatiques sévères
    • des conditions intensives d’occupation des locaux
    • des indicateurs d’habitabilité tenant compte des occupants les plus fragiles
Ces modèles de calcul numériques demandent en effet de l'expertise, du temps (et de l’argent) pour être correctement implémentés, et pour nourrir utilement les échanges entre les différents acteurs concernés. Lorsqu’on réalise une STD, il est indispensable qu’elle serve effectivement l’adaptation climatique du bâtiment, et non à justifier que le bâtiment « passe » (ou pas) un certain « seuil ».

Nos propositions


Nous souhaitons que la question de l’adaptation du bâti aux vagues de chaleur soit traitée de façon obligatoire et systématique, en priorisant les interventions vers les situations les plus critiques.

Pour permettre un traitement efficace de cette question, deux dispositifs complémentaires doivent être déployés :
  • Des obligations de moyens , préalables à tout recours à des systèmes de rafraîchissement actifs, portant sur l’adaptation bioclimatique des bâtiments : maîtrise des taux de surface vitrées, protections solaires efficaces, niveau d’isolation suffisant, capacité à mettre en œuvre une ventilation naturelle efficace et à mobiliser l’inertie, brasseurs d’air.
  • Un cadre déontologique pour la réalisation d’études d’optimisation du comportement climatique estival du bâtiment. Seules des études réalisées en conditions dimensionnantes sont utiles pour cet objectif. Leur réalisation est optionnelle, et elles ne remettent pas en cause le déploiement préalable des obligations de moyens.

Les contributions que nous versons aujourd’hui au débat public pour avancer dans ce sens sont les suivantes :
  • La légitimation et la défense de l’utilisation d’exigences de moyens pour améliorer la thermique d’été des bâtiments : dans les programmes techniques et environnementaux, dans les fiches de lots des projets d’aménagement, pour la sensibilisation du grand public, etc…
  • Cette liste d’exigences de moyens peut également être utilisée pour la détection du risque de locaux « bouilloires », permettant une identification des locaux les plus critiques et la priorisation des actions, à l’instar de ce que permet l’étiquette DPE pour les locaux « passoires énergétiques ».
  • Un cadre commun pour la réalisation d’études thermiques pertinentes, intégrant une aide à la sélection de données climatologiques et une proposition d’indicateurs de confort :

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publication octobre 2024